Née en 1994 à Équemauville (Normandie, France), Caroline Ailleret vit et travaille entre Paris et la campagne française.
Actuellement en 5e année d’étude aux Beaux-Arts de Paris (Atelier Isabelle Cornaro), sa pratique exploratoire de divers media s’articule autour de la performance, de l’installation et de l’art vidéo.

Poétique, politique, se voulant parfois radicale, la démarche artistique de Caroline Ailleret ne cesse de mettre l’accent sur la malléabilité du temps, l’exploration de ses profondeurs et le sens de ses implications. Au moyen d’actes précis, sobres et magnifiés par les espaces qu’ils investissent, l’artiste cadre son propos tout en pensant la respiration du spectateur, sa liberté d'interprétation et de ressenti.

— Astrid Campion



Paris, le 26 Mars 2023

Dans son essai 24/7. Le capitalisme à l’assaut du sommeil (Éditions La Découverte, 2014) le critique d’art et professeur américain Jonathan Crary écrit : “Il ne reste aujourd’hui dans l’existence humaine que très peu de plages de temps significatives – à l’énorme exception près du sommeil – à n’avoir pas été envahies et accaparées à titre de temps de travail, de consommation et de marketing”, décrivant plus loin dans son texte le régime 24/7 comme une force venant “dépouiller le temps humain de la richesse de ses textures et de ses indéterminations.”

Face à ce constat, il appartient à chacun évoluant sous ce régime – relativement dominant – de choisir la latitude avec laquelle inscrire, ou non, sa trajectoire de créativité dans le monde – créativité au sens dans lequel le brillant psychanalyste Donald Winnicott l’entendait : c’est-à-dire pas seulement artistique et différenciante au sein d’une école, d’une histoire donnée ; c’est-à-dire ce “mode créatif de perception (...) qui permet à l’individu l’approche de la réalité extérieure (...) et la participation à la vie de la communauté.” (Winnicott, Jeu et réalité, Folio Essais, 2002).

Évidemment, résister à la force de conformisation des comportements structurant les modes culturels et opératoires du capitalisme contemporain occidental n’est pas un chemin facile, ni aisément palpable, tant la conscientisation de la démarche à initier, renforcer et maintenir demeure un travail quasi discipline intérieur(e) de perpétuelle distanciation des hyperflux d’information du siècle et de sa propre tendance à s’y oublier.
Certains individus, toutefois, trouvent l’espace – intérieur et extérieur – de s’accomplir à contre-courant, offrant de cette manière, subtile, inattendue, à la psyché collective des pistes de régénération et sensations alternatives.
De mon point d’observation, ancrée dans le ‘Global village’, de ma perspective de jeune écrivain embrasée du spectacle ‘capitalocène’, j’ai le sentiment que Caroline Ailleret fait partie de ces individus.

Devenue artiste par choix et tardivement (Caroline a exercé le conseil en prospective appliqué au marketing), celle-ci n’a décidé du rôle qu’elle jouerait sur la scène du monde qu’après s’y être elle-même fait entraîner, qu’après avoir elle-même “reproduit” – sur injonction culturelle – les gestes, modes de pensée et d’”être-au-monde” imposés par le régime 24/7. À cette phase-là de sa trajectoire, “l’artiste” n’était ni connectée à son “soi” – celui dont Jung parle – ni à ses capacités créatives singulières. Soumise au rouleau compresseur de l’économie globalisée et sous le poids de schémas hérités des générations précédentes, elle n’était pas encore en capacité de rendre “significatives” les plages de temps qu’elle investissait lorsqu’elle ne dormait pas; très peu...

Les choses ont changé, et le dispositif de discernement et d’exploration des “textures” du temps qu’elle a réussi à mettre en place pour elle-même, encadré par les institutions de l’art contemporain, et celles qui les financent (parfois, des maisons de luxe) – hors des rythmes, et dans son idéal au-delà – permet à Caroline Ailleret de proposer à quiconque souhaite sentir sur un nouveau plan, des gestes-oeuvres sophistiqués, radicaux dans leur poésie et emprunts d’un potentiel réparateur de sens alchimique.

Avec style et curiosité, je vous invite donc aujourd'hui à oser investir ses espaces, à l’écouter, la regarder, elle, ses actions – celle qu’elle a récemment accomplie pour Christian Dior, par exemple mais également les précédentes : des trésors vous y attendent.

Astrid Campion